Ce rouleau de tissu finement décoré au fil doré semble avoir été conservé avec le plus grand soin. Après avoir défait délicatement l’élégant nœud le maintenant fermé, il se déroule en douceur avec une étonnante fluidité, libérant une discrète fragrance de camélia et de jasmin. D’exquis idéogrammes Suinien y ont été calligraphiés à l’encre noire d’une main de maître. Ils dépeignent en termes simples et clairs un conte pour enfant. Les courtes phrases et le langage enfantin le rendent accessible même à quelqu’un ne maîtrisant pas encore les subtilités syntaxiques du Suinien, en faisant un excellent texte de référence pour apprendre cette langue.

Le conte relate l’épopée d’un groupe d’enfants dépourvus de visages se mettant en quête d’un moyen d’exprimer leurs émotions. Ils vont tout d’abord à la rencontre des esprits malicieux qui virevoltent dans le ciel. Ceux-ci communiquent leurs états d’âme en adoptant une multitude de couleurs. Les enfants se rendent comptent qu’ils peuvent eux aussi rougir, pâlir ou bleuir suivant ce qu’ils ressentent. Mais cela ne leur suffit pas.

Ils vont à la rencontre des mélodies portées par le vent, qui chantent tout fort leurs sentiments. Les enfants s’aperçoivent que leur voix porte aussi leurs émotions, mais déplorent ne pas pouvoir chanter avec autant de talent. Alors les mélodies façonnent mille et un animaux, bêlant, barrissant, miaulant, grondant, barouflant, gémissant, huant, piaillant et chantant.

Voyant cela, les enfants élaborent eux aussi des êtres à leur image, parlant, rougissant, chantant et pâlissant. Ils déversent en eux toutes les émotions qu’ils n’avaient pu exprimer, et les dotent d’une bouche souriante ou grimaçante, d’un nez frustré ou hilare, d’yeux joyeux ou mélancoliques, de sourcils froncés ou surpris. Les enfants n’avaient pas besoin de visage pour avoir des sentiments, mais ils ont pu en doter leurs propres descendants, qui aussitôt reçurent la bénédiction des esprits malicieux, formant pour eux une grande arche de couleur en travers des cieux.